Protestantisme, Capitalisme et Max Weber

Publié par Valentin le

Protestantisme, Capitalisme et Max Weber

Protestantisme, Capitalisme et max Weber

Les protestants sont-ils à l’origine de la naissance du capitalisme ? Pour répondre à cette question, nous nous intéresserons aux thèses de Max Weber (1864-1920), économiste et sociologue allemand considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie. Dans son œuvre, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Max Weber s’interroge sur l’influence des puritains dans l’essor du capitalisme. Cet article a pour objectif de mettre en avant les grandes idées présentes dans son livre.

Table des matières

#1 Le constat

Max Weber débute sa démonstration par des observations statistiques de la société allemande de son époque (fin 19e siècle) :

  • Les protestants étaient généralement plus riches et plus qualifiés que les catholiques
  • Les villes et régions ayant adopté la réforme dès le 16e siècle étaient économiquement plus avancées et plus dynamiques.
  • Les protestants avaient plus tendance à se diriger vers les affaires et l’industrie.

Pour Weber, les croyances de l’individu ont des conséquences directes sur son éthique et son comportement, qui ont eux-mêmes une influence sur la société. L’objectif pour lui est donc de trouver, à travers les différentes doctrines religieuses, les éléments qui ont conduit à cet esprit nouveau (l’esprit du capitalisme), omniprésent dans les sociétés modernes.

#2 L'esprit du capitalisme

A - Définition par Benjamin Franklin

Pour définir l’esprit du capitalisme, Weber cite les conseils financiers de Benjamin Franklin (1706-1790), homme d’affaires et père fondateur des Etats-Unis. Voici quelques-uns de ses conseils :

  • Travailler sans relâche « Souviens-toi que le temps, c’est de l’argent »
  • Investir « Souviens-toi que l’argent est, par nature, générateur et prolifique. L’argent engendre l’argent, ses rejetons peuvent en engendrer davantage et ainsi de suite »
  • Adopter une certaine éthique de travail « Après l’assiduité au travail et  la frugalité, rien ne contribue autant à la progression d’un jeune homme dans le monde que la ponctualité et l’équité dans les affaires »
  • Bien tenir ses comptes pour limiter les dépenses « Tiens un compte exact de tes dépenses et de tes revenus {…} tu découvriras combien des dépenses merveilleusement petites et insignifiantes s’enflent jusqu’à faire de grosses sommes qui aurait pu être épargnées. »

Ce qui est intrigant, c’est que Benjamin Franklin, bien qu’ayant grandi dans une famille calviniste, n’était pas vraiment croyant. Il était cependant très imprégné de cet esprit du capitalisme. Lorsqu’on lui demandait d’où venait sa conception du travail, il répondait par la Bible :

Si tu vois un homme habile dans son travail, c’est au service des rois qu’il se tiendra, il ne restera pas au service de gens obscurs.

Proverbes 22.29 

 

Pour résumer, Weber définit l’esprit du capitalisme de la manière suivante : gagner de l’argent, encore et toujours, de manière licite et rationnelle à travers une profession.

Benjamin Franklin - billet de 100$
On retrouve le portrait de Benjamin Franklin sur les billets de 100$

B - Disparition de l'économie traditionnelle

Avant l’arrivée de l’esprit du capitalisme, la très grande majorité des peuples avait un esprit traditionaliste : l’ordre social de la société était défini par Dieu et par conséquent il n’était pas possible de le changer. Le roi, même s’il était mauvais et cruel, n’était pas contesté car il avait été divinement choisi, le paysan ne devait pas s’élever dans la société pour les mêmes raisons.

L’économie rattachée à cette philosophie traditionnelle était bien différente de l’époque moderne capitaliste : les gens vivaient au jour le jour, le temps de travail était assez faible (5-6h par jour) de quoi satisfaire les besoins de l’individu et les artisans concurrents entretenaient de bonnes relations. Max Weber parle d’une vie tranquille et agréable.

Néanmoins, cette économie traditionnelle s’effaçait totalement lorsque l’esprit du capitalisme apparaissait. Comment expliquer ce phénomène ?  

Pour répondre à cette question, Weber prend l’exemple fictif d’un jeune entrepreneur qui arrive dans une campagne traditionnelle. L’entrepreneur, rempli de l’esprit du capitalisme, sélectionne avec soin ses employés et contrôle méthodiquement le travail qu’ils fournissent, les paysans deviennent alors des ouvriers spécialisés. Son modèle économique est rationnel, il produit beaucoup, baisse les prix du marché, accumule de grosses sommes d’argent qu’il réinvestira dans l’entreprise. Il change également la méthode de vente en adaptant le produit au besoin du client.

L’éthique de cet entrepreneur est très différente de celle retrouvée dans la tradition : il est calculateur et audacieux à la fois, sobre et sûr, perspicace, entièrement dévoué à sa tâche.

Ce nouvel individu désorganise totalement l’économie traditionnelle locale, les concurrents sont alors obligés d’adopter le même état d’esprit pour ne pas disparaitre.

C’est donc plus par obligation que par réelle conviction que l’esprit du capitalisme s’est imposé dans la société, entrainant ainsi une rationalisation totale de l’économie.

La prochaine étape consistera à comprendre les raisons qui ont conduit à la naissance de cet esprit du capitalisme car la volonté d’accumuler de l’argent a toujours existé et cela dans tous les pays et à toutes les époques. Néanmoins, il manquait un ethos pour qu’apparaisse cet esprit rationnel qui allait chambouler la société.

Max weber factory

#3 L'éthique protestante

Dans cette partie, nous traiterons des arguments religieux de Weber en faveur du développement du capitalisme.

A - Le Beruf de Luther

Le premier argument religieux de Weber en faveur de la naissance de l’esprit du capitalisme concerne la nouvelle vision du travail attribuée à Luther : Beruf.

Beruf est un mot allemand qui peut se traduire par profession/vocation. Il a été utilisé en premier lieu par Luther (1483-1546), lors de la traduction de la Bible en allemand, et est rapidement tombé dans le langage courant. Le métier qui n’était auparavant qu’un simple travail (Werk) adopte désormais une connotation religieuse (Beruf), celle d’une tâche imposée par Dieu.

Auparavant, dans les sociétés catholiques, le seul moyen de vivre de manière agréable à Dieu était par l’ascèse monastique. Désormais, avec la redécouverte des textes bibliques et l’apparition du Beruf de Luther, le travail séculier devient lui aussi un moyen de plaire à Dieu et est donc valorisé. Des mots avec un sens similaire vont apparaitre dans les autres pays à prédominance protestante (Calling en Angleterre, Beroep en Hollande).

La raison qui explique la glorification de Dieu à travers le travail est la suivante : Dieu a créé le monde de manière organisé et ordonné pour les besoins de l’être humain. Par conséquent, travailler au service de la société pour la rendre moins chaotique et plus ordonnée exalte la gloire de Dieu.

Malgré cette nouvelle vision de la besogne, le lien entre luthéranisme et esprit du capitalisme n’est pas concluant d’après Weber. Il justifie ses propos par le fait que Luther avait une vision très traditionaliste de la société : le paysan devait travailler dur mais devait rester à sa place car c’était Dieu qui l’avait voulu. Il ajoute également que le pardon systématique des péchés par la repentance du fidèle n’est pas forcément favorable à un mode de vie ascétique et rationnel.

B - La prédestination de Jean Calvin

Pour Weber, la prédestination est la clé pour comprendre la genèse de l’esprit du capitalisme. Cette doctrine était notamment présente chez les « mouvements puritains » (calvinisme et anabaptisme entre autres).

La prédestination, qu’est-ce que c’est ?

On peut résumer la prédestination de la manière suivante :

Doctrine qui enseigne que Dieu aurait déterminé de toute éternité le sort des hommes : ceux qui seraient sauvés, ceux qui seraient damnés. Les élus ne sont pas choisis selon leur mérite, mais uniquement selon la volonté de Dieu. Par conséquent, il n’y a plus de place pour le libre-arbitre de l’être humain et aucune possibilité de se racheter à travers quelques moyens que ce soit. Le salut est donc impossible à perdre pour l’élu mais également impossible à gagner pour le damné. Jésus ne s’est sacrifié que pour les élus.

En lui, Dieu nous a choisis avant la création du monde pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui. Dans son amour, il nous a prédestinés à être ses enfants adoptifs par Jésus-Christ. C’est ce qu’il a voulu, dans sa bienveillance, pour que nous célébrions la gloire de sa grâce, dont il nous a comblés dans le bien-aimé.

Ephesiens 1 : 4-6

Nous savons, du reste, que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein. Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin que son Fils fût le premier-né entre plusieurs frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés.

Romains 8 : 28-30

Citation Jean Calvin

Les conséquences psychologiques de cette prédestination

Il faut bien comprendre qu’à l’époque de Calvin, la question du salut était capitale pour les individus. On peut facilement imaginer l’angoisse existentielle du croyant au regard de la prédestination. Weber parle de « désenchantement du monde » car désormais aucun moyen « magique » (sacrement, appartenance à une église, repentance) ne pouvait assurer une place au paradis. Ce qui a eu pour conséquence, un sentiment de solitude intérieur chez le fidèle et des interrogations constantes : suis-je un élu ? Comment le savoir ?

A ces questions, Calvin explique d’abord que le comportement n’est pas un marqueur de l’élection, la conduite des élus ne se distingue en rien de la conduite des condamnés. Pour Calvin, le seul moyen de savoir si l’on est sauvé est le suivant : reconnaitre que Dieu a choisi et n’avoir aucun doute quant à l’acquisition de son salut, se considérer comme un élu est une obligation.

Nous sommes devenus participants de Christ, pourvu que nous retenions fermement jusqu’à la fin l’assurance que nous avions au commencement

Hébreux 3 : 14

Néanmoins, l’assurance du salut proposée par Calvin n’était pas suffisante pour répondre à l’angoisse de ses disciples qui continuaient à chercher des signes de l’élection. En conséquence, un nouveau marqueur de l’élection est apparu : le travail bien fait permet de se persuader que l’on est un élu.

« Seul un élu possède réellement la vraie foi, il est capable en vertu de sa nouvelle naissance et la sanctification de sa vie tout entière qui en découle, d’augmenter la gloire de Dieu par les œuvres réelles et non pas seulement apparentes. Il doit être conscient que sa conduite repose sur une force qui œuvre en lui à l’augmentation de la gloire de Dieu, donc une telle conduite est non seulement voulue mais surtout agie par Dieu. Il atteint ainsi la certitude de la grâce »

Extrait de l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme

Pour les puritains, si Dieu agissait à travers eux, ils devaient en avoir conscience et porter de bons fruits. Le puritain inspectait chaque détail de la vie afin de s’assurer de son élection à travers les actions réalisées. Ce contrôle méthodique a conduit à la rationalisation de toute la vie du croyant. Les bonnes œuvres n’étaient pas utiles pour le Salut mais indispensables comme signe de l’élection.

Examinez-vous vous-mêmes, pour savoir si vous êtes dans la foi; éprouvez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas que Jésus-Christ est en vous? à moins peut-être que vous ne soyez réprouvés.

2 Corinthiens 13- 5

Très vite, la réussite économique est devenue un indicateur du travail bien fait et donc un signe de l’élection.

De plus, contrairement aux luthériens et aux catholiques, il est désormais possible de changer de profession mais uniquement si le métier est plus utile pour le royaume de Dieu. L’utilité se mesure sur 3 critères d’après Baxter : la morale, la contribution à la communauté et surtout la possibilité d’augmenter ses profits.

« Si Dieu vous désigne tel chemin dans lequel vous puissiez légalement gagner plus que dans tel autre (cela sans dommage pour votre âme, ni celle d’autrui) et que vous refusez le plus profitable pour choisir le chemin qui l’est moins, vous contrecarrez l’une des fins de la vocation, vous refusez de vous faire l’intendant de Dieu, d’accepter ses dons et de les faire travailler à son service s’il vient à l’exiger. »

Extrait de l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme 

A lire : Qu’est-ce que l’intendance biblique ?

Pour résumer, La recherche de profit n’est désormais plus taboue, elle est acceptée et même encouragée. L’angoisse existentielle causée par la prédestination calviniste, était le moteur psychologique qui manquait au Beruf de Luther pour créer un esprit rationnel et méthodique que l’on retrouve dans l’esprit du capitalisme.

C - L'ascétisme puritain de Richard Baxter

En plus d’être des travailleurs sérieux, les puritains ont développé un style de vie ascétique, phénomène bien décrit par Baxter et repris par Max Weber. Cet ascétisme strict est apparu en réponse à la forte accumulation d’argent, afin de se protéger contre toute tentation.

L’objectif était ici d’anéantir tout plaisir instinctif et spontané mais certainement aussi, une manière pour le fidèle de se persuader de son élection à travers une conduite individuelle ordonnée. Toutes les attitudes irrationnelles, sans but et qui avaient pour unique objectif de satisfaire la chair étaient bannies. L’hédonisme (recherche du plaisir) et l’eudémonisme (recherche du bonheur), largement dominants dans les sociétés traditionnelles, disparaissaient pour laisser place à l’ascétisme caractérisé par une conduite rationnelle où chaque action était analysée.

Pour les puritains de l’époque, ce n’était par l’enrichissement qui était condamnable mais le repos dans la possession, la jouissance des richesses et ses conséquences : oisiveté, tentation de la chair et ne plus chercher une vie sainte. Gaspiller son temps représentait le plus grave des péchés, car une heure de perdue, c’est une heure de moins pour servir Dieu.

Pour Baxter, le travail sans relâche était le meilleur moyen pour lutter contre l’attrait des richesses. Ainsi, que l’on soit riche ou pauvre, on se devait de travailler.

La gestion de l’argent était également très surveillée chez les puritains car son utilisation devait servir à la gloire de Dieu. Comme c’est le cas dans la parabole des talents, le croyant avait conscience qu’il devrait rendre des comptes pour chaque pièce dépensée, il s’abstenait ainsi des achats inutiles et personnelles. L’acquisition de biens était uniquement à des fins nécessaires et utiles.

Il est évident que cette vie ascétique couplée à la recherche de profit par le travail ne pouvait conduire qu’à l’accumulation de richesses, qui étaient elles-mêmes bien souvent réinvestis dans l’entreprise. C’est la naissance du capital.

#4 La sécularisation de la société

A la fin de sa démonstration, Weber souligne l’importance de l’ascétisme protestant dans l’émergence de la société rationnelle et moderne de son époque (fin 19e siècle).

Le puritain voulait être besogneux, nous sommes obligés de l’être.

Max Weber 

 

Il remarque cependant que même si l’esprit du capitalisme est plus que présent dans la société actuelle, ses fondements religieux ont pratiquement disparus. Les protestants à l’époque de Weber (beaucoup ne l’étaient que de nom d’après lui) sont même vus comme des gens matérialistes avec des aspirations hédoniste. L’esprit du capitalisme n’avait plus besoin de l’ascétisme puritain pour survivre.

John Wesley explique la sécularisation de la manière suivante :

Je crains que partout où les richesses ont augmenté, le principe de la religion n’ait diminué à proportion… Car nécessairement la religion doit produire industrie et frugalité et celles-ci à leur tour, engendrent la richesse. Mais lorsque la richesse s’accroit, s’accroissent de même orgueil, emportement et amour du monde sous toutes ces formes.

John Wesley

Il continue ensuite avec une exhortation :

« N’y-a-t-il pas moyen de prévenir cela, de faire obstacle à cette décadence continue de la vraie religion ? N’empêchons pas les gens d’être diligents et frugaux (…) que ceux qui gagnent tout ce qu’ils peuvent et épargnent tout ce qu’ils peuvent, donnent tout ce qu’ils peuvent afin de se fortifier dans la grâce et d’amasser un trésor au ciel ».

John Wesley

 

Weber exprime également son inquiétude à l’égard du travail dans ce système sécularisé et extrêmement rationalisé. Pour lui, il y un risque de perte de sens et une déshumanisation de l’être humain. Weber parle d’une « cage de fer » de la rationalité où l’individu est oppressé ou paralysé par un système bureaucratique basé sur le calcul et le contrôle.

« Toutes les sciences de la nature nous donnent une réponse à la question : que devons-nous faire si nous voulons être techniquement maîtres de la vie ? Quant aux questions : cela a-t-il au fond et en fin de compte un sens ? Devons-nous et voulons nous être techniquement maîtres de la vie ? Elles les laissent en suspens ou bien les présupposent en fonction de leur but »

Max Weber

#5 Les critiques

La thèse de Weber a suscité de nombreuses controverses de la part du monde intellectuel. On lui a notamment reproché le manque de statistiques dans sa démonstration, mais également l’existence de nombreux contre-exemples quant à sa thèse : la présence de « capitalisme » dans les cités italiennes au début de la renaissance, l’absence de développement économique dans l’Ecosse calviniste entre le 17e et le 19e siècle, ou encore l’apparition du capitalisme dans les pays asiatiques de tradition confucéenne.

Malgré ces critiques, l’œuvre de Weber reste une référence dans les sciences sociales. Ses thèses sont encore utilisées aujourd’hui par les économistes pour tenter de comprendre les évolutions du capitalisme.

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