Pour un christianisme évangélique intellectuel et traditionnel
Pour un christianisme évangélique intellectuel et traditionnel
Dans le passé, le protestantisme incarnait un christianisme intellectuellement solide et profondément enraciné dans la tradition, exerçant une influence considérable sur la société. Il se distinguait notamment par son insistance sur la lecture rigoureuse des Écritures, la promotion de l’éducation, et par une élite intellectuelle qui jouait un rôle crucial dans les institutions sociales et politiques, ainsi que dans le monde académique.
Aujourd’hui, les protestants semblent constituer une minorité de plus en plus insignifiante. Les dénominations historiques sont prises dans les filets du libéralisme, tandis que les évangéliques, gangrenés par un christianisme piétiste et émotionnel, dépourvu de traditions et parfois anti-intellectuel, sont divisés et imprégnés de fausses doctrines.
Comment en est-on arrivé à perdre ce christianisme profondément réfléchi, ancré dans l’histoire de l’église, et capable d’exercer une influence positive et durable sur notre société ? Plus important encore, comment œuvrer pour le retrouver ?
Dans cet article, nous explorerons la définition d’un christianisme intellectuel et traditionnel, ainsi que les raisons pour lesquelles il est crucial de le promouvoir. Nous analyserons également les problèmes actuels du mouvement évangélique et leurs origines, avant de réfléchir aux solutions pour restaurer un christianisme intellectuel et traditionnel.
Table des matières
#1 Précision sur l’objectif de cet article
Les avis présentés dans cet article n’engagent que moi, l’auteur, et je suis disposé à en discuter. L’objectif n’est pas de critiquer gratuitement les évangéliques, dont beaucoup sont de véritables croyants, aimant le Seigneur, zélés pour le Royaume de Dieu, et à qui je dois ma conversion.
Il vise plutôt à sensibiliser les membres aux divers problèmes existants dans le mouvement et à expliquer en quoi une approche intellectuelle et enracinée dans la tradition serait extrêmement bénéfique.
#2 Qu’est-ce qu’un christianisme intellectuel et traditionnel ?
A) Un christianisme intellectuel
Un christianisme intellectuel est une approche qui met l’accent sur l’importance de la réflexion et de l’analyse intellectuelle de la foi chrétienne. Il s’appuie notamment sur des disciplines telles que la théologie, la philosophie et l’histoire.
Il s’oppose à un christianisme dit « émotionnel », qui met davantage l’accent sur les sentiments et les expériences personnelles de la foi.
B) Un christianisme traditionnel
La tradition chrétienne peut être divisée en deux catégories : la Tradition doctrinale (avec un T majuscule) et la tradition culturelle (avec un t minuscule).
- La Tradition doctrinale
La Tradition, dite doctrinale ou ecclésiastique, correspond à l’ensemble des enseignements, pratiques et écrits développés par l’Église au cours de l’histoire pour transmettre, interpréter et approfondir les enseignements bibliques. Parmi les éléments faisant partie de la Tradition de l’Église, on peut citer :
- Les Credos : déclarations formelles de croyance, telles que le Credo des Apôtres ou de Nicée, qui résument les doctrines essentielles de la foi chrétienne
- Les Confessions de foi : affirmations détaillées de croyances doctrinales spécifiques adoptées par des dénominations chrétiennes pour guider la foi et la pratique de leurs membres.
- Les Pères de l’Église : théologiens et écrivains chrétiens des premiers siècles dont les œuvres et enseignements ont façonné la théologie et la pratique chrétienne.
- Les doctrines historiques : enseignements et croyances fondamentales de la foi chrétienne, développés et établis au cours des siècles par l’Église.
- Les théologiens historiques : penseurs et écrivains chrétiens influents dont les œuvres et enseignements ont profondément marqué la théologie et la pratique chrétienne à travers l’histoire.
- La tradition culturelle
La tradition dite culturelle ou patrimoniale correspond à l’ensemble des pratiques et coutumes culturelles et historiques, qui sont variables et adaptables. Comme exemples d’éléments faisant partie de la tradition, on peut citer la liturgie, l’architecture, l’art et la musique.
C) Le lien entre intellectualisme et Tradition
L’intellectualisme et la Tradition doctrinale sont intrinsèquement liés, car la Tradition offre un cadre historique riche qui nourrit et oriente la réflexion intellectuelle. Dans cet article, bien que ces deux aspects soient abordés séparément, il est crucial de reconnaître l’interdépendance et le lien profond qui existent entre eux. Promouvoir l’un revient inévitablement à promouvoir l’autre.
#3 Pourquoi encourager un christianisme intellectuel et traditionnel ?
Raison #1 – Un renforcement de la foi
L’adoption d’une approche intellectuelle dans la pratique de la foi chrétienne permet d’enrichir la compréhension des enseignements et des doctrines, tout en stimulant une croissance spirituelle réfléchie chez les croyants.
Par ailleurs, la Tradition doctrinale offre des ressources précieuses pour le discipulat, telles que les écrits des Pères de l’Église, les conciles, les confessions de foi et les œuvres de théologiens antérieurs, tout en reconnectant les fidèles à l’héritage historique de l’Église.
Raison #2 – Éviter les erreurs et les hérésies
Un christianisme intellectuel aide à prévenir les erreurs et les hérésies en facilitant une compréhension approfondie des Écritures et des fondements de la foi chrétienne. Les croyants sont ainsi mieux équipés pour discerner les vérités fondamentales et éviter les malentendus et les déformations.
En revanche, une approche superficielle et émotionnelle de la foi peut mener à des interprétations subjectives et à des écarts doctrinaux, car elle repose souvent sur les sentiments personnels plutôt que sur une étude rigoureuse et informée des textes sacrés.
Parallèlement, la Tradition doctrinale joue un rôle crucial en préservant et en transmettant des enseignements théologiques qui ont été validés par l’Église au fil des siècles, offrant ainsi une protection supplémentaire contre les erreurs.
Raison #3 – Une meilleure apologétique et évangélisation
Des chrétiens bien instruits sont généralement mieux équipés pour défendre et articuler leur foi de manière logique et persuasive. Ils sont ainsi capables d’adresser les critiques et de répondre aux interrogations provenant de la société moderne, de la science, de la philosophie et des autres croyances religieuses.
Par ailleurs, l’étude de la Tradition doctrinale permettrait aux évangéliques de débattre plus efficacement avec les catholiques et les orthodoxes, pour qui la Tradition est une source importante et complémentaire à la Bible.
Enfin, l’adoption par les évangéliques de la tradition culturelle protestante historique, qui est majestueuse, belle et met l’accent sur le sacré, permettrait de partager la grandeur et la gloire de Dieu avec le monde entier. Cela offrirait aux non chrétiens un avant-goût du ciel et susciterait en eux un intérêt pour le christianisme.
Raison #4 – Favoriser l’unité des églises évangéliques
Un christianisme intellectuel et traditionnel assure l’uniformité des croyances en établissant un système doctrinal clair, aligné avec les Écritures et l’histoire ecclésiastique, et aide à éviter les fausses doctrines qui peuvent apporter la division.
En adoptant des confessions de foi historiques, les églises peuvent renforcer leurs liens et travailler ensemble plus harmonieusement, favorisant une collaboration plus étroite dans leur mission et leurs activités communautaires. Cette unité renforce non seulement la cohésion interne mais aussi l’efficacité du témoignage chrétien dans la société.
Raison #5 – Avoir une élite chrétienne et influencer la société
Un christianisme intellectuel a le potentiel non seulement de retenir et d’attirer les penseurs au sein des églises évangéliques, mais aussi de favoriser un milieu où la croissance spirituelle et l’éveil intellectuel se nourrissent mutuellement.
Cette approche prépare indirectement les futurs leaders et penseurs chrétiens à exercer une influence significative dans les domaines de l’éducation, de la politique, des arts et des médias, contribuant ainsi à la formation d’une élite chrétienne capable d’impacter l’ensemble de la société, à la gloire de Dieu.
#4 L'héritage intellectuel et traditionnel du protestantisme
A) L’héritage intellectuel protestant
Tout au long de son histoire, le christianisme a été une force intellectuelle majeure, produisant certains des plus grands penseurs de l’humanité et influençant des domaines variés tels que la théologie, la philosophie, la physique, la chimie, la biologie, l’astronomie, les mathématiques, la politique et la musique.
Le christianisme a également favorisé le développement des universités et diffusé la culture, la technologie et le savoir partout où il a été présent. Il a posé les bases de la science moderne en explorant les lois naturelles instaurées par Dieu.
L’Église a servi de guide rationnel dans la société, prête à répondre et à débattre des critiques envers le christianisme. Cette tradition de réflexion a permis de maintenir une connexion entre la foi et la raison, enrichissant ainsi la compréhension humaine à travers les siècles.
Les protestants, en particulier, mettaient un fort accent sur le développement intellectuel, valorisant une éducation rigoureuse dans tous les domaines. Les parents étaient encouragés à offrir une catéchèse à leurs enfants.
Le protestantisme a aussi conduit à la création de nombreuses écoles, séminaires et universités, parmi lesquelles Harvard, Yale et Princeton. Ces institutions sont devenues des bastions de l’excellence académique et théologique, influençant profondément le paysage intellectuel des États-Unis et bien au-delà.
Ainsi, cette rigueur intellectuelle et cette profonde intégration de la foi et de la raison ont permis au christianisme d’exercer une influence durable sur la culture et la société, favorisant l’émergence d’une élite chrétienne et jetant les bases d’un héritage intellectuel et spirituel qui continue de résonner à travers les âges.
B) L’héritage traditionnel protestant
- La Tradition doctrinale chez les protestants
Contrairement aux catholiques et aux orthodoxes, qui considèrent la Bible et la Tradition comme infaillibles, les protestants adoptent la doctrine du Sola Scriptura, souvent mal comprise aujourd’hui.
Sola Scriptura affirme que les Écritures seules sont la source ultime et infaillible de la doctrine chrétienne. Toutefois, ce principe ne rejette pas la Tradition qui, bien que faillible, demeure une autorité utile pour la compréhension et l’application des Écritures, tant qu’elle reste conforme aux enseignements bibliques.
- La tradition culturelle chez les protestants
Historiquement, les protestants possédaient une tradition culturelle singulière, riche, profonde et belle.
La liturgie, qui correspond à la manière dont le culte est organisé, était hautement intellectuelle, axée sur la Parole de Dieu et l’administration des sacrements.
L’architecture des églises protestantes se caractérisait par une simplicité élégante, mais majestueuse. La beauté résidait dans les lignes pures, les matériaux naturels et l’utilisation de la lumière. Les intérieurs lumineux et ouverts favorisaient la prédication et la concentration spirituelle, avec des éléments décoratifs sobres et symboliques.
La musique tenait également une place centrale dans le culte protestant. Les hymnes et les chants, souvent inspirés des psaumes, jouaient un rôle essentiel dans la vie spirituelle des fidèles. Des compositeurs tels que Johann Sebastian Bach ont enrichi le répertoire musical protestant avec des œuvres de grande profondeur théologique et artistique.
Le Psautier de Genève, compilé sous la direction de Jean Calvin, est l’un des recueils de psaumes les plus célèbres et continue d’être chanté dans les milieux protestants du monde entier. Ce psautier a joué un rôle crucial dans la diffusion de la musique liturgique protestante, unifiant les croyants à travers des mélodies communes.
#5 Un christianisme évangélique anti-intellectuel et en rupture avec la Tradition
A) Un christianisme évangélique anti-intellectuel
La connaissance est indispensable à la vie et au service chrétiens. Si nous n’utilisons pas l’esprit que Dieu nous a donné, nous nous condamnons à une superficialité spirituelle et nous nous privons de nombreuses richesses de la grâce de Dieu.
John Stott, Your Mind Matters
Dans de nombreux milieux évangéliques, il est courant de constater que la dimension intellectuelle est souvent négligée au profit de l’expérience personnelle, de l’émotionnel, du surnaturel, des témoignages et de l’esprit communautaire.
De nombreux fidèles, même après des années passées à l’Église, progressent peu dans leur compréhension théologique, car ils ne reçoivent pas d’enseignements approfondis et ne sont pas encouragés à le faire par eux-mêmes.
Les prédications, généralement superficielles, ressemblent à des discours de motivation à l’américaine, similaires à des séminaires d’entreprises. Elles sont fréquemment remplies d’erreurs théologiques et intègrent des philosophies mondaines comme l’évangile de la prospérité ou le développement personnel.
Les messages sont souvent simplistes et pratiques, se résumant à « prie, lis ta Bible, fais confiance à Dieu, mets Jésus au centre et aime ton prochain ». Ces éléments ne sont pas faux en soi, mais ils sont des notions que même un enfant chrétien de 10 ans connaît déjà.
Les pasteurs sont désormais des chefs d’entreprise qui doivent gérer le budget de l’église, coordonner des événements, maintenir de bonnes relations publiques et maîtriser la communication et le marketing.
Par ailleurs, dans de nombreuses églises évangéliques, les adolescents et les jeunes adultes sont traités de manière extrêmement infantilisante. Au mieux, ils recevront des enseignements très légers. Au pire, ils participeront à des activités « cool » comme manger une pizza en jouant à des jeux de société, regarder un match de foot, ou jouer à des jeux pour briser la glace, des jeux habituellement destinés à des enfants de 10 ans.
J’ai personnellement vu des jeunes dans la vingtaine faire des jeux de piste dans la ville et des batailles d’eau lors d’un événement inter-églises. Quelle médiocrité ! Quel message négatif et régressif envoyé au monde extérieur !
Imaginez un jeune homme de 18 ans, récemment converti et dégoûté par le monde, qui cherche à en savoir plus sur la foi chrétienne. Avide de connaissance, il recherche une foi simple et profonde, et aspire à avoir des conversations enrichissantes avec des frères de son âge. Imaginez sa déception immense lorsqu’il découvre que le groupe de jeunes se limite à des jeux d’enfants et à des distractions superficielles.
Selon moi, cet anti-intellectualisme a eu des conséquences désastreuses pour le mouvement évangélique, telles que la perte de ses intellectuels et la féminisation des églises.
En effet, l’église perd ses penseurs. Beaucoup de ceux intellectuellement doués se tournent vers le catholicisme ou l’orthodoxie en raison de la frustration et du manque de valorisation de l’intellect dans les milieux évangéliques.
Il y a des défections continues des évangéliques érudits vers le catholicisme ou l’orthodoxie orientale.
Os Guinness, Fit Bodies Fat Minds
Une autre conséquence de cet anti-intellectualisme est la féminisation de l’église. L’accent mis sur les émotions, la louange et la convivialité rend difficile l’attraction et la rétention des hommes, qui se tournent alors vers des figures « masculines » non-chrétiennes telles que Jordan Peterson, Ben Shapiro ou encore Andrew Tate pour trouver des réponses à leurs questionnements.
Malheureusement, ceux qui aspirent à un christianisme plus intellectuel sont fréquemment perçus comme manquant de foi vivante et authentique.
B) Un christianisme évangélique en rupture avec les traditions
Le christianisme évangélique a souvent été coupé de ses racines historiques, se privant ainsi de la richesse et de la profondeur que ces traditions apportent à la foi chrétienne.
Mark Noll, The Scandal of the Evangelical Mind
La majorité des évangéliques ont abandonné les traditions historiques, qu’elles soient doctrinales ou culturelles, les percevant comme inutiles ou potentiellement néfastes, car elles pourraient détourner de la pureté originelle de l’Évangile et de la relation directe avec Dieu.
Cet éloignement de la Tradition a conduit au phénomène de « Solo Scriptura » et à l’Absence de beau et de sacré.
- Solo Scriptura
Le terme « solo scriptura » est parfois utilisé de manière péjorative pour désigner la pratique qui considère la Bible comme la seule source d’autorité en matière de foi et de doctrine, tout en rejetant la Tradition. Cette tendance est particulièrement répandue chez les évangéliques.
Comme expliqué précédemment, cette pratique s’oppose au principe de « sola scriptura » qui, tout en affirmant la Bible comme l’autorité infaillible, reconnaît également la Tradition comme une autorité faillible mais utile pour une meilleure compréhension des Écritures.
Le problème avec la vision évangélique du « solo scriptura » est que, sans la Tradition, les mauvaises compréhensions, interprétations erronées, et même les hérésies, peuvent se multiplier.
En effet, de nombreux mouvements hérétiques apparus au cours des derniers siècles sont nés parmi des protestants ayant abandonné la Tradition. Les Témoins de Jéhovah, les Mormons, les unitariens, les dispensationalistes, ainsi que le mouvement de l’évangile de la prospérité, sont tous issus de contextes influencés par le protestantisme dit « biblique », pratiquant le « solo scriptura ».
Pour info, lors de la Réforme, les réformateurs utilisaient non seulement les Écritures, mais aussi les écrits des Pères de l’Église, les conciles et les textes médiévaux pour défendre la vision protestante du christianisme.
- Le manque de beauté et de sacré
Beaucoup de chrétiens ont été influencés par l’idée moderne que la beauté est subjective, ce qui s’oppose à la vision chrétienne classique et historique de l’objectivité esthétique.
Selon les principes des transcendantaux, la vérité, la bonté et la beauté sont des propriétés universelles de l’être, reflétant les attributs de Dieu. Dans la perspective chrétienne, ces trois éléments sont considérés comme objectifs.
Bien que les évangéliques admettent les aspects de vérité et de bonté absolue, la dimension de la beauté est souvent négligée ou ignorée dans de nombreuses communautés.
L’aspect pratique a complètement supplanté la majesté des bâtiments ; les chants liturgiques ont perdu de leur profondeur, étant désormais dominés par des styles pop ou variété.
#6 Les origines de cet anti-intellectualisme et de cette indifférence pour la Tradition
Bien que la réalité soit indéniablement plus complexe, six facteurs sont présentés ici comme ayant contribué à l’anti-intellectualisme moderne et à l’absence de Tradition chez les évangéliques. Ces facteurs sont le piétisme, le mouvement Jesus People, le courant seeker sensitive, le mouvement charismatique, le schisme entre les évangéliques et les libéraux, ainsi que le déclin intellectuel généralisé de la société.
Facteur #1 – Le piétisme
Le danger du piétisme réside dans sa tendance à minimiser la doctrine au profit de l’expérience personnelle. La foi chrétienne ne peut être réduite à une série de sentiments religieux, mais doit être ancrée dans les vérités objectives de l’Évangile.
Karl Barth
Même s’il est difficile à identifier ou à définir, le piétisme est omniprésent dans le milieu évangélique. Selon moi, il est en grande partie responsable du déclin intellectuel du protestantisme et de la diminution de l’importance accordée à la Tradition.
Le piétisme est un mouvement théologique apparu en Allemagne à la fin du XVIIe siècle au sein des communautés luthériennes, en réaction à un protestantisme jugé trop intellectuel, trop traditionnel et éloigné de l’individu.
Le piétisme s’est ensuite diffusé à travers de nombreuses dénominations chrétiennes et a influencé les réveils religieux aux États-Unis durant les XVIIIe et XIXe siècles. Avec le temps, il a également contribué de manière significative au libéralisme théologique chez les protestants.
Ce mouvement se caractérise par une emphase mise sur la relation personnelle du croyant avec Dieu, la dévotion individuelle (lecture de la Bible, vie de prière, conduite morale), l’introspection, la vie communautaire, et une approche plus informelle du culte.
En conséquence, le piétisme tend à diminuer l’importance accordée aux doctrines, à l’étude de la théologie, aux écrits traditionnels, aux sacrements, à la liturgie, au caractère sacré des bâtiments ainsi qu’à la profondeur et à la beauté de la musique.
Il a ainsi contribué à façonner un environnement où la simplicité et l’expérience personnelle priment sur l’apprentissage et la richesse des pratiques religieuses établies.
Facteur #2 – Le mouvement Jesus People
La vision du monde des Jesus People s’opposait à l’intellectualisme et aux valeurs sociales conventionnelles de l’époque. De nombreux chrétiens traditionnels critiquaient le Jesus Movement pour sa simplicité excessive.
GotQuestion.com
Le Jesus People Movement est un mouvement chrétien évangélique des années 1960 et 1970, principalement présent aux États-Unis, qui a attiré des jeunes issus de la contre-culture hippie en prônant un retour à la simplicité et à la pureté de la foi chrétienne.
Le problème est que ces individus ont importé de nombreux éléments de la culture hippie avec eux, tels que l’accent sur la communauté, l’anti-matérialisme, le pacifisme et l’usage de la musique et de l’art pour exprimer leur foi.
Ils se déclaraient fièrement non traditionnel, mettaient l’accent sur une relation personnelle avec Jésus-Christ, rejetant les rites religieux établis au profit de formes de culte plus décontractées et communautaires.
Les phrases simples et accrocheuses des évangéliques, souvent perçues comme un peu niaises, telles que « Le christianisme n’est pas une religion mais une relation », « Jésus t’aime », ou encore « Laisse Jésus entrer dans ton cœur », ont émergé avec le Jesus People Movement.
Ces groupes ont également largement contribué à la naissance des églises dites « non confessionnelles », ainsi qu’au développement de la musique chrétienne contemporaine, comme celui popularisé par Hillsong ou Bethel.
En mettant l’accent sur une relation personnelle et émotionnelle avec Dieu, cette musique a, à bien des égards, participé à une certaine diminution de la solennité et de la qualité perçue de la louange.
Facteur #3 – Le mouvement « seeker sensitive »
Le mouvement ‘seeker-sensitive’ est un système conçu pour répondre aux attentes et aux désirs des non-croyants.
Gotquestion.com
Le mouvement ‘seeker-sensitive’ est apparu dans les années 1970 et 1980, souvent associé à des figures clés comme Bill Hybels et Rick Warren, qui ont cherché à attirer les non-croyants à l’église.
Pour ce faire, ils ont envisagé d’éliminer les obstacles empêchant les non-chrétiens de se sentir à l’aise dans une église, en adaptant la musique, le langage et les formats de culte pour les rendre plus pertinents et attrayants.
Les églises affiliées à ce mouvement utilisent généralement des techniques de marketing et de communication modernes, réalisent des études de marché et sont gérées comme des entreprises dans le but de toucher un maximum de prospects. Plus le nombre de fidèles est important, plus la méthode est considérée comme efficace.
Bien que cette approche puisse sembler intéressante au premier abord, elle déforme l’objectif principal du culte dominical. Ce dernier n’est pas destiné à l’évangélisation des non-croyants, mais d’abord à l’édification des saints (Actes 2 : 42), à l’adoration de Dieu (Colossiens 3:16), à la prise de la sainte cène (1 Corinthiens 11:17-34) et à l’encouragement fraternel (Hébreux 10:24-25).
Pour rendre le message accessible aux non-croyants, il est souvent nécessaire d’abaisser le niveau théologique de l’enseignement et de réduire la qualité de la louange, ce qui laisse les véritables chrétiens sans nourriture spirituelle.
Ce mouvement a exercé une influence majeure dans le monde évangélique, participant ainsi à l’anti-intellectualisme et à l’absence de traditions en favorisant des cultes simplifiés et moins exigeants sur le plan doctrinal.
Facteur #4 – Le mouvement charismatique
Les pentecôtistes et les charismatiques ont souvent montré une aversion pour la vie intellectuelle, croyant parfois à tort que la foi et la vie de l’esprit sont mutuellement exclusives.
Gordon D. Fee
Il est difficile de critiquer les charismatiques car leur mouvement est tellement vaste et englobe des croyances si diverses que toute généralisation risque d’être injuste ou inexacte.
Toutefois, il existe chez eux une certaine tendance à mettre l’accent sur l’expérience personnelle, les émotions et le surnaturel plutôt que sur l’étude doctrinale, la réflexion théologique et la tradition scripturaire, perçues comme des barrières à la foi vivante et à l’expérience spirituelle directe.
Cet état d’esprit existe dans d’autres dénominations évangéliques, mais il est généralement plus prononcé chez les charismatiques. Cela explique pourquoi des erreurs, voire des hérésies ou des mouvements sectaires, ont tendance à apparaître plus fréquemment dans ces milieux.
Ainsi, les charismatiques, qui dominent aujourd’hui le monde évangélique en nombre et en influence, contribuent à perpétuer cette vision anti-intellectuelle et anti-traditionnelle.
Facteur #5 – Le schisme entre les évangéliques et les libéraux
Au 20e siècle, les églises protestantes ont connu une séparation entre les chrétiens devenus libéraux et ceux restés fidèles aux Écritures. Ces derniers, désireux de maintenir une foi orthodoxe, ont ressenti le besoin de se séparer, ce qui a donné naissance au mouvement évangélique.
Malheureusement, en fuyant, les évangéliques ont laissé aux libéraux tout le patrimoine protestant des derniers siècles, comme les églises historiques, les séminaires, le capital financier.
En conséquence, ils ont dû recommencer à zéro, souvent avec des ressources financières limitées, et privilégier l’utile plutôt que le beau.
C’est pour cette raison que les églises évangéliques aujourd’hui ont des bâtiments dépourvus de grandeur esthétique. De plus, l’indépendance des églises évangéliques et leur absence de rattachement à une dénomination historique les privent de tout poids politique, économique et institutionnel, les empêchant ainsi d’influencer positivement la société.
Facteur 6 – La baisse généralisée du niveau intellectuel dans la société occidentale
« L’objectif de l’éducation devrait être de nous apprendre comment penser plutôt que quoi penser, d’améliorer nos esprits afin de nous permettre de penser par nous-mêmes, plutôt que de charger la mémoire avec les pensées des autres hommes. »
James Beattie
De multiples études menées dans divers pays et utilisant plusieurs méthodes confirment la thèse d’une baisse généralisée du quotient intellectuel en occident depuis les années 70. Les manifestations de cette régression sont légion :
- Les gens lisent moins et, lorsqu’ils le font, ils se tournent généralement vers des œuvres de moindre qualité.
- Les jeunes générations passent plus de temps devant des écrans, réduisant ainsi le temps consacré à des activités intellectuellement stimulantes.
- La qualité et la rigueur de l’enseignement ont considérablement diminué dans les écoles et les universités.
- Bien qu’utiles, les nouvelles technologies rendent également les gens de plus en plus paresseux sur le plan intellectuel.
- Les élites actuelles ne sont plus des érudits, mais davantage des gestionnaires et de bons communicants, souvent axés sur la performance
Étant donné que les évangéliques vivent au sein de la société et que la majorité des chrétiens confient l’éducation de leurs enfants aux institutions publiques, il est inévitable que cette baisse de niveau se répercute aussi dans l’église.
#7 Des pistes pour rétablir un christianisme évangélique intellectuel et traditionnel
Cet anti-intellectualisme et cette absence de tradition sont une anomalie dans l’histoire de la chrétienté. Bien que cela prenne du temps, il est tout à fait possible de rectifier cette situation.
Cette section proposera six pistes pour y parvenir. Les trois premières seront destinées aux individus, tandis que les trois dernières s’adresseront davantage aux églises locales.
Piste #1 – Devenir de bons théologiens
Devenir un bon théologien permet de lutter contre l’anti-intellectualisme en encourageant une réflexion profonde et rigoureuse sur les fondements de la foi. De plus, cela favorise la redécouverte et la valorisation des écrits historiques de l’Église, utile pour un christianisme sain et ancré dans la tradition.
Dans sa vidéo “What is a Theologian? How Do You Become One?”, le pasteur presbytérien Matthew Everhard recommande la stratégie suivante pour devenir un bon théologien.
Tout d’abord, il conseille non seulement de lire la Bible, mais aussi de l’étudier en profondeur. Ensuite, il suggère de s’intéresser aux symboles œcuméniques, notamment le Symbole des Apôtres, le Symbole de Nicée, le Symbole d’Athanase et le Symbole de Chalcédoine.
Il recommande également de se familiariser avec les confessions de foi réformées, telles que la Confession de foi de Westminster, la Confession helvétique et le Catéchisme de Heidelberg et de Genève, qui approfondissent les doctrines spécifiques aux traditions réformées et fournissent une base solide pour la théologie chrétienne.
Par la suite, l’étude de la théologie systématique est essentielle. Cette discipline correspond à l’étude organisée et cohérente des doctrines de la foi chrétienne, cherchant à articuler de manière logique et exhaustive les diverses croyances du christianisme. Pour les débutants, l’ouvrage « Nous sommes tous des théologiens » de R.C. Sproul est souvent recommandé.
Enfin, pour enrichir davantage ses connaissances, il sera utile de s’intéresser à des théologiens historiques comme les Pères de l’Église, ainsi que des théologiens influents tels que Jean Calvin, Charles Spurgeon, C.S. Lewis, R.C. Sproul et Jonathan Edwards.
Piste #2 – Approfondir ses connaissances et développer une excellence dans les disciplines laïques
En plus des disciplines religieuses, il est pertinent pour l’individu de s’intéresser à d’autres domaines tels que la philosophie, la littérature, l’histoire, les sciences, l’économie, la politique, les arts ou encore les nouvelles technologies.
Cette approche permet notamment de renforcer la crédibilité intellectuelle du christianisme et de fournir une réponse plus complète et nuancée aux défis de la société contemporaine. De plus, cette approche contribue à développer une élite chrétienne capable d’avoir un impact sur la collectivité.
Piste #3 – Promouvoir l’école à la maison
Pour lutter contre la régression intellectuelle qui touche la société, l’école à la maison apparaît comme la meilleure solution.
Les parents chrétiens consacrent souvent peu de temps à l’enseignement religieux, se reposant sur l’école du dimanche. Ainsi, de nombreux jeunes issus de familles chrétiennes ont une connaissance limitée de Dieu et adoptent une vision humaniste du monde.
L’école à la maison permet non seulement d’offrir une éducation chrétienne solide et complète, mais aussi des enseignements académiques bien meilleurs que le système actuel. Elle laisse également du temps aux enfants pour explorer des domaines hors curriculum et développer leurs dons.
Pour plus d’informations, lire l’article sur l’école à la maison.
Piste #4 – Choisir une église évangélique confessionnelle et de tradition réformée
Dans son œuvre « L’institution de la religion chrétienne », Jean Calvin donne les 3 marques distinctives d’une vraie église :
- La prédication fidèle de la Parole de Dieu : la vraie église se caractérise par une prédication correcte et fidèle des Écritures, où la Parole de Dieu est enseignée et expliquée avec exactitude.
- L’administration correcte des sacrements : la vraie église administre les sacrements (le baptême et la Sainte Cène) conformément à l’enseignement biblique, en respectant leur signification et leur usage.
- La discipline ecclésiastique : la vraie église exerce une discipline spirituelle pour corriger et guider ses membres, assurant que la communauté reste fidèle à la doctrine et aux pratiques chrétiennes.
Les églises évangéliques avec une théologie réformée répondent généralement favorablement à ces trois marqueurs et sont connus pour offrir des enseignements intellectuels et profonds.
De plus, elles sont généralement confessionnelles, c’est-à-dire qu’elles adhèrent strictement à un ensemble de croyances doctrinales formulées dans des confessions de foi ou des credo historiques, et se rattachent ainsi à la Tradition de l’église.
Piste #5 – Valoriser la formation intellectuelle au sein des églises
Pour promouvoir un christianisme intellectuel et traditionnel, il serait bénéfique pour les églises d’encourager les fidèles à s’intéresser à la théologie, à l’apologétique, à l’histoire de l’Église, aux grandes confessions de foi, ainsi qu’aux écrits des Pères de l’Église, des réformateurs et des théologiens historiques.
Les églises pourraient également, si les ressources le permettent, inclure des enseignements ou proposer des conférences axées sur ces domaines, ou encore offrir des bourses pour encourager les jeunes à poursuivre des études théologiques.
Piste #6 – Intégration de la tradition culturelle dans les églises
Afin de promouvoir christianisme traditionnel, il pourrait être pertinent d’intégrer des éléments liturgiques riches et symboliques dans les cultes, comme la récitation des confessions de foi, des prières liturgiques et le chant des Psaumes.
Dans la mesure du possible, encourager la construction, la rénovation ou l’acquisition d’églises qui reflètent la beauté et la majesté, à l’instar des églises protestantes traditionnelles.
Une autre idée pourrait être d’encourager les fidèles à venir bien habillés le dimanche, reflétant ainsi le respect et la révérence pour le culte, comme c’était le cas chez les générations précédentes. Cela, non seulement, honore la tradition, mais crée également une atmosphère de dignité et de solennité lors des services religieux.
#8 Conclusion
Comme expliqué précédemment, l’anti-intellectualisme et la rupture avec la tradition chez les évangéliques ont eu de nombreux effets négatifs sur les églises et ont indirectement contribué à l’effacement des valeurs chrétiennes dans la société.
Toutefois, la situation est, selon moi, potentiellement réversible et nécessiterait qu’un noyau important d’évangéliques prenne conscience de l’importance de l’intellect et de la Tradition pour changer positivement les choses.
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3 commentaires
Edouard Calvaire · 28/07/2024 at 10:47 am
Un sujet vraiment délicat, l’anti-intellectualisme dans l’Eglise. Le problème est beaucoup plus grave dans les milieux défavorisés où vivent la plupart de nos frères. Nous avons vraiment du travail à faire pour faire évoluer les mentalités sur l’intellectualisme, la beauté, la solennité dans nos assemblées!
Valentin · 28/07/2024 at 10:52 am
Tout à fait d’accord, Édouard. J’espère voir davantage de chrétiens s’y intéresser dans les prochaines années.
ATSÉ CHARLES · 21/10/2024 at 3:47 pm
Bonjour M. Valentin
J’ai bien apprécié l’article. Je réalise effectivement que les évangéliques d’aujourd’hui ont une approche sensationnelle et dogmatique de la foi chrétienne. L’analyse intellectuelle nous permettrait d’élever notre compréhension du christianisme pour une appréciation plus profonde du monde en général. Les éléments exposés dans l’article sont très pertinents et m’ont été d’un apport capital. Ils sont de nature à encourager les chrétiens à se cultiver et s’exercer dans les réflexions intellectuelle de la foi. Ils seront ainsi capables d’affermir leur compréhension et exposer l’Évangile à toute intelligences humaine.
Je me suis cependant interrogé sur la nécessité d’inclure dans cette vision intellectuelle, les solennités, la grandeur esthétique, et les belles édifices.