Economie et religions
Publié par Valentin le
Economie et religions
Dans un précédent article , nous avions étudié les thèses de Max Weber sur le rôle des protestants calvinistes dans l’essor du capitalisme. Max Weber supposait en effet que les croyances religieuses avaient un impact sur le comportement des individus et donc sur l’économie. Dans ce nouvel article, nous tenterons d’aller plus loin en analysant les différentes religions et leurs effets sur la croissance économique.
Table des matières
I) Les critères pour une croissance économique
En 1991, Robert Barrow a mené d’importantes recherches empiriques transnationales pour déterminer les éléments nécessaires à un développement économique. Il a estimé que les variables explicatives cruciales étaient les suivantes : le PIB réel par habitant, le capital humain (éducation et santé), le taux d’épargne, l’ouverture au commerce international et les politiques monétaires. Au-delà de ces variables économiques, il souligne également l’importance de l’environnement politique et institutionnel (état de droit, démocratie, étendue de la corruption).
D’autres chercheurs soutiennent que le principal déterminant de la croissance économique d’un pays est la culture ; elle-même fortement influencée par la religion. Cette perspective était également partagée par Max Weber pour qui la religion influençait grandement les croyances, les valeurs et les comportements individuels. Ainsi, des facteurs économiques comme l’épargne, la productivité, l’honnêteté ou encore la capacité d’entreprendre peuvent varier d’une religion à une autre.
Par conséquent, afin de déterminer les facteurs religieux ayant une influence sur le développement économique d’un pays, Robert Barrow et Rachel McCleary (2003) ont ajouté des mesures de croyances religieuses au cadre empirique existant et qui comprenait déjà des variables économiques, institutionnelles et politiques. Leurs résultats ont montré que la croyance en l’enfer avait un impact positif et non-négligeable sur le développement économique d’un pays. Leur explication est la suivante : « Si une plus grande croyance en l’enfer encourage les gens à « mieux » performer et si cette amélioration signifie un effort de travail accru, l’épargne, l’honnêteté, etc, alors il est logique que la croissance économique augmente. » Ces résultats sont similaires aux conclusions de Max Weber qui estimait que l’anxiété causée par la prédestination de Calvin était un facteur important de l’essor du capitalisme dans les régions d’Europe à majorité protestante.
Par ailleurs, R.Barrow et R. McCleary (2019) ont également estimé que les lois religieuses pouvaient avoir un impact négatif sur le développement comme les interférences avec les marchés du crédit et des assurances, la réglementation des heures d’ouverture des magasins et les restrictions sur les choix individuels en matière de planification familiale.
II) Les grandes religions et leur impact sur l’économie
#1 Le confucianisme
Le confucianisme est souvent décrit comme une tradition, une philosophie ou encore un mode de vie. Il présente cependant de nombreux aspects religieux comme des rituels ou encore des cultes aux esprits et aux ancêtres. Le confucianisme fait partie intégrante de la culture chinoise mais a également influencé de manière considérable d’autres pays comme le Japon ou encore la Corée.
Le développement économique et l’industrialisation rapide de l’Asie de l’Est à la fin du XXe siècle, ainsi que la compétitivité des entreprises asiatiques sur le marché international ont surpris beaucoup de pays occidentaux. De nombreux chercheurs et économistes se sont alors demandés si le confucianisme avait joué un rôle dans le développement de ces pays (Du 1984: 67-74, Du 1992: 126-8).
Seok-Choon Lew (2011) suppose que l’accent mis sur le respect des parents et des ancêtres (ou piété filiale) est la principale caractéristique du confucianisme qui expliquerait ce développement économique. Ce processus est très similaire à la manière dont la peur de l’enfer stimule les protestants calvinistes à s’engager dans des activités laïques pour la gloire de Dieu. En effet, dans le confucianisme, la réussite matérielle devient une manière d’honorer ses parents et ses ancêtres, entrainant ainsi un accomplissement dans le travail et la réussite.
Par ailleurs, cette religion ne porte que peu d’intérêt à la transcendance et à la vie après la mort, favorisant ainsi une certaine rationalité et la recherche de richesse matérielle ici-bas. Max Weber avait d’ailleurs observé et souligné que le bien-être matériel comme objectif ultime était bien plus présent en Chine que dans n’importe quel autre pays industrialisé. (Whimster 2003: 40-44).
D’autres caractéristiques du confucianisme pourraient expliquer cette croissance économique comme le haut niveau d’éducation, la discipline confucéenne ou encore la soumission à l’autorité qui permet une stabilité politique et sociale, ainsi qu’un bon fonctionnement au sein des entreprises. (Du 1996b: 263-264 Pye 1985 2000; Maison et al. 1980; Berger 1983; Hotheinz et Calder 1982)
I.Hon (2005) précise que la Chine avait déjà atteint un certain niveau de développement commercial avant l’époque moderne mais que la tradition confucéenne empêchait un essor économique. En effet, la société mettait en avant les fonctionnaires confucéens, tandis que les marchands étaient méprisés et moralement critiqués. (Yang 1984: 39). Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque la Chine s’est ouverte au capitalisme, que les marchands ont obtenu une plus grande notoriété et que ce potentiel commercial s’est révélé au monde.
Malgré ce qui vient d’être dit, certains chercheurs estiment que le poids des traditions ainsi que le lien étroit entre l’état et le confucianisme empêcherait l’émergence de nouvelles idées et donc d’inventions, éléments essentiels pour une bonne santé économique. Cette thèse est corroborée par l’étude de X.Feng (2017).
#2 L’islam
Selon un rapport UNDP (2002), de nombreux pays à majorité musulmane accusent un retard de développement économique et cela à différents niveaux : PIB faible, des taux de pauvreté élevés, un niveau d’analphabétisme important, un retard technique et technologique et un cadre institutionnel inadéquat.
Pourtant, entre le Xe et le XIIe siècle, le monde arabe était amplement plus développé et scientifiquement avancé que les pays européens. Jonathan Israel (2006) et Eric Chaney (2016) suggèrent que l’islam médiéval a favorisé les échanges intellectuels, les découvertes dans les sciences et la remise en question des idées et des institutions établies. Les musulmans qui étaient alors en minorité sur les territoires conquis échangeaient et débattaient avec les juifs, chrétiens et bouddhistes. Ainsi, certains auteurs (Gardet 1970 ; Sauvaget 1984 ; Barro et Mccleary 2003 ; Haenni 2005) soutiennent que l’islam en tant qu’ensemble de valeurs morales et comportementales est positivement associé à la croissance économique, tandis que d’autres parlent plus d’une exception temporelle (Khalfaoui, 2015)
Chaney (2016) explique le déclin de la culture islamique au XIIe siècle par la montée des élites religieuses, ainsi que la suppression de la pensée indépendante par ces dernières. Bernard Lewis (1993) soutien de la même manière que les musulmans, plutôt que d’être formés à la pensée critique et au jugement indépendant, se sont tournés vers l’apprentissage par cœur et la mémorisation. Ainsi, le monde islamique est devenu fermé, décourageant les réformes et les recherches scientifiques.
Certains auteurs comme Said (1978), Kuran (1998) ou encore Nafissi (1998) attribuent ce retard des pays musulmans à l’islam lui-même dans la mesure où c’est une religion qui prêche le fatalisme et est défavorable à la croissance. De plus, pour ces auteurs, les principes et les valeurs dictées par le Coran ou la « Charia » rend l’adaptation des entreprises au monde moderne plus difficile,
D’autres facteurs pourraient expliquer ces difficultés économiques comme l’absence de démocratie (Fachini, 2007), un système de succession complexe (Kuran, 2004), une fermeture au marché du crédit et de l’assurance (Pryor, 1985) ou encore la baisse de productivité lors du ramadan (Campante, Yanagizawa-Drott, 2015).
On note tout de même l’émergence de la finance islamique moderne depuis le début des années 1960 et qui pourrait être un moyen de réconcilier le système économique actuel avec les valeurs islamiques. (Imam et Kpdoar, 2015)
#3 Le judaïsme
Etant donné le faible nombre de fidèles, l’impact du judaïsme sur la croissance économique est difficile à mesurer. Toutefois, de nombreuses recherches empiriques ont montré une réussite incontestable des juifs dans de nombreux domaines.
Pour R.Barro et R.McClear (2019), il est difficile d’expliquer ces succès par les thèses wébériennes car le salut n’est pas un élément central du judaïsme. D’autres chercheurs comme Botticini et Eckstein (2012) ou encore J.Muller (2010) soutiennent que cette réussite, que ce soit à l’époque médiévale ou moderne, est en partie due à une forte alphabétisation de ces communautés. En effet, chaque individu devait être en mesure de lire lui-même la Torah.
Irena Grosfeld (2013) souligne que la surreprésentation des juifs dans les activités commerciales et financières au moyen-âge était principalement liée leur mise à l’écart de certains métiers par les autorités mais également parce que la condamnation de l’usure par le catholicisme et l’Islam a créé le besoin d’un intermédiaire financier, entraînant ainsi une spécialisation professionnelle des Juifs en matière financière.
Cette réussite commerciale et financière à travers l’histoire a poussé certains sociologues et économistes comme Sombart (1911) à s’opposer aux thèses de Max Weber et à supposer que l’émergence du capitalisme était en partie lié à la communauté juive. Selon Sombart, les commerçants et fabricants juifs, exclus des guildes, ont développé une antipathie particulière pour les principes fondamentaux du commerce médiéval, qu’ils considéraient comme primitifs et non progressifs, ce qui les a amenés à le remplacer par le capitalisme moderne. Johnson (1988) a réfuté cette théorie de Sombart en expliquant que là où les juifs étaient en grand nombre, aucun progrès économique n’avait été observé.
L’émancipation des juifs européens au XVIIIe et XIXe siècle va leur offrir de nouveaux droits ainsi que la possibilité d’accéder à des métiers qui leur étaient interdits jusqu’alors. Cet évènement va permettre aux juifs de réussir dans de nouveaux secteurs et d’accentuer leur impact positif sur l’économie (Carvalho, 2016).
#4 L'hindouisme et le bouddhisme
Pour Weber, l’hindouisme représentait un obstacle au développement économique de l’Inde car il estimait que l’accent mis sur la contemplation et le monde spirituel laissait peu de place au travail acharné et à une rationalisation que l’on retrouve dans « l’éthique protestante ».
On peut citer d’autres facteurs défavorables comme le système des castes qui limite l’ascension sociale des individus et le partage des connaissances (Sharma, 1980, p. 42), la doctrine du Karma et de la réincarnation qui favorise un sentiment de fatalisme (Barro & McCleary, 2019), le renoncement au matérialisme qui entrave l’accumulation des richesses, moteur d’une économie dynamique (Sharma, 1980) ou encore la vision holistique qui freine l’avènement d’une science rationnelle (A.k. Saran, 1963).
Néanmoins, le virage « pro-marché » opéré par le gouvernement indien à la fin des années 80 a offert au pays une croissance élevée et persistance, ce qui laisserait penser que l’hindouisme n’est pas incompatible avec le capitalisme.
Le bouddhisme quant à lui est né de l’hindouisme environ cinq cents ans avant Jésus-Christ et est progressivement devenu proéminent dans certaines parties de l’Asie de l’Est (Birmanie, Cambodge, Macao, Laos, ). Tout en présentant de nombreux aspects doctrinaux de l’hindouisme, y compris la réincarnation, le bouddhisme met l’accent sur la méditation, la contemplation et la séparation du monde comme instruments pour obtenir le salut (nirvana). Par de nombreux aspects, le bouddhisme ne semble pas encourager des comportements favorables à un développement économique.
#5 Le christianisme
D’après le rapport de Deccan Herard publié en 2015, les chrétiens détiendraient la plus grande part des richesses mondiales (55%), suivis des musulmans (5,8%), des hindous (3,3%) et des juifs (1,1%). Les autres religions et les sans-religion cumulent quant à eux 34,8% de la richesse mondiale totale.
Par ailleurs, une étude menée par L.Guiso (2003) semble conclure que la religion chrétienne est la plus favorable à des attitudes propices à la croissance économique si l’on compare des variables tels que la confiance, l’épargne, le cadre juridique ou encore le travail.
Toutefois, la présence du christianisme n’est pas toujours synonyme de développement économique comme l’atteste l’existence de nombreux pays pauvres à majorité chrétienne.
Parmi les différentes branches du christianisme, L.Guiso (2003) n’a pas observé de différences économiques significatives entre le catholicisme et le protestantisme.
Max Weber (1905) avait lui constaté un plus grand dynamisme des régions à majorité protestantes dans l’Allemagne du XIXe siècle par rapport aux régions catholiques. Il supposait que la prédestination de Calvin encourageait les protestants calvinistes à adopter une éthique favorable au travail et à l’épargne, ce qui a conduit à une prospérité économique de ces régions et au développement du capitalisme. Par ailleurs, Max Weber avait une vision plutôt négative du catholicisme qu’il voyait comme un frein à la croissance économique (Turner & Forlenza, 2019). A titre d’exemple, il estimait que le pardon des péchés par la confession chez les catholiques décourageait le fidèle à mener une vie sainte et organisée.
Des études plus récentes semblent appuyer les thèses de Max Weber avec un revenu par habitant, un temps de travail ou encore un taux d’instruction significativement plus élevés dans les régions à majorité protestante, comparativement aux régions à majorité catholique (Becker et Woessmann (2009) ; Basten et Betz (2013) ; Jörg Spenkuch (2017) ; Boppart et al. (2013, 2014)).
Néanmoins, certaines voix s’opposent à ces théories weberiennes comme J.Cohen (1980) qui soutient l’apparition d’un proto-capitalisme dans des villes marchandes d’Italie (Florence, Venise) avant la réforme ou encore Samuelson (1993) et Andersen (2016) qui soulignent une croissance économique plus élevée dans des communautés catholiques à la même période.
III) Conclusion
Même si davantage de publications sur le sujet ont été observées ces derniers temps, la complexité des facteurs économiques, le manque de données dans de nombreux pays, l’émergence des « sans-religion » ainsi que l’existence de différents courants au sein d’une même religion font que les propos tenus dans cet article sont tout de même à nuancer. Cependant, il me semble avéré que les religions et les croyances influent de manière importante les comportements économiques, fait qui est bien souvent occulté de nos jours.
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